»á¼Æ¿¼ÓÑ ·¢±íÓÚ 2012-8-16 14:33:43

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Boule de suifÑòÖ¬Çò
Guy de Maupassant Ī²´É£
¡¡¡¡Pendant plusieurs jours de suite des lambeaux d'arm¨¦e en d¨¦route avaient travers¨¦ la ville. Ce n'¨¦tait point de la troupe, mais des hordes d¨¦band¨¦es. Les hommes avaient la barbe longue et sale, des uniformes en guenilles, et ils avan?aient d'une allure molle, sans drapeau, sans r¨¦giment. Tous semblaient accabl¨¦s, ¨¦reint¨¦s, incapables d'une pens¨¦e ou d'une r¨¦solution, marchant seulement par habitude, et tombant de fatigue sit?t qu'ils s'arr¨ºtaient. On voyait surtout des mobilis¨¦s, gens pacifiques, rentiers tranquilles, pliant sous le poids du fusil; des petits moblots alertes, faciles ¨¤ l'¨¦pouvante et prompts ¨¤ l'enthousiasme, pr¨ºts ¨¤ l'attaque comme ¨¤ la fuite; puis, au milieu d'eux, quelques culottes rouges, d¨¦bris d'une division moulue dans une grande bataille; des artilleurs sombres align¨¦s avec ces fantassins divers; et, parfois, le casque brillant d'un dragon au pied pesant qui suivait avec peine la marche plus l¨¦g¨¨re des lignards.
Des l¨¦gions de francs-tireurs aux appellations h¨¦ro?ques : "les Vengeurs de la d¨¦faite -- les Citoyens de la tombe -- les Partageurs de la mort" -- passaient ¨¤ leur tour, avec des airs de bandits.
Leurs chefs, anciens commer?ants en drap ou en graines, ex-marchands de suif ou de savon, guerriers de circonstance, nomm¨¦s officiers pour leurs ¨¦cus ou la longueur de leurs moustaches, couverts d'armes, de flanelle et de galons, parlaient d'une voix retentissante, discutaient plans de campagne, et pr¨¦tendaient soutenir seuls la France agonisante sur leurs ¨¦paules de fanfarons; mais ils redoutaient parfois leurs propres soldats, gens de sac et de corde, souvent braves ¨¤ outrance, pillards et d¨¦bauch¨¦s.
Les Prussiens allaient entrer dans Rouen, disait-on.
La Garde nationale qui, depuis deux mois, faisait des reconnaissances tr¨¨s prudentes dans les bois voisins, fusillant parfois ses propres sentinelles, et se pr¨¦parant au combat quand un petit lapin remuait sous des broussailles, ¨¦tait rentr¨¦e dans ses foyers. Ses armes, ses uniformes, tout son attirail meurtrier, dont elle ¨¦pouvantait nagu¨¨re les bornes des routes nationales ¨¤ trois lieues ¨¤ la ronde, avaient subitement disparu.
Les derniers soldats fran?ais venaient enfin de traverser la Seine pour gagner Pont-Audemer par Saint-Sever et Bourg-Achard; et, marchant apr¨¨s tous, le g¨¦n¨¦ral d¨¦sesp¨¦r¨¦, ne pouvant rien tenter avec ces loques disparates, ¨¦perdu lui-m¨ºme dans la grande d¨¦bacle d'un peuple habitu¨¦ ¨¤ vaincre et d¨¦sastreusement battu malgr¨¦ sa bravoure l¨¦gendaire, s'en allait ¨¤ pied, entre deux officiers d'ordonnance.
Puis un calme profond, une attente ¨¦pouvant¨¦e et silencieuse avaient plan¨¦ sur la cit¨¦. Beaucoup de bourgeois bedonnants, ¨¦mascul¨¦s par le commerce, attendaient anxieusement les vainqueurs, tremblant qu'on ne consid¨¦rat comme une arme leurs broches ¨¤ r?tir ou leurs grands couteaux de cuisine.
La vie semblait arr¨ºt¨¦e; les boutiques ¨¦taient closes, la rue muette. Quelquefois un habitant, intimid¨¦ par ce silence, filait rapidement le long des murs.
L'angoisse de l'attente faisait d¨¦sirer la venue de l'ennemi.
Dans l'apr¨¨s-midi du jour qui suivit le d¨¦part des troupes fran?aises, quelques uhlans, sortis on ne sait d'o¨´, travers¨¨rent la ville avec c¨¦l¨¦rit¨¦. Puis, un peu plus tard, une masse noire descendit de la c?te Sainte-Catherine, tandis que deux autres flots envahisseurs apparaissaient par les routes de Darnetal et de Boisguillaume. Les avant-gardes des trois corps, juste au m¨ºme moment, se joignirent sur la place de l¡¯hôtel-de-Ville; et, par toutes les rues voisines, l'arm¨¦e allemande arrivait, d¨¦roulant ses bataillons qui faisaient sonner les pav¨¦s sous leur pas dur et rythm¨¦.

Des commandements cri¨¦s d'une voix inconnue et gutturale montaient le long des maisons qui semblaient mortes et d¨¦sertes, tandis que, derri¨¨re les volets ferm¨¦s, des yeux guettaient ces hommes victorieux, ma?tres de la cit¨¦, des fortunes et des vies, de par le "droit de guerre". Les habitants, dans leurs chambres assombries, avaient l'affolement que donnent les cataclysmes, les grands bouleversements meurtriers de la terre, contre lesquels toute sagesse et toute force sont inutiles. Car la m¨ºme sensation repara?t chaque fois que l'ordre ¨¦tabli des choses est renvers¨¦, que la s¨¦curit¨¦ n'existe plus, que tout ce que prot¨¦geaient les lois des hommes ou celles de la nature, se trouve ¨¤ la merci d'une brutalit¨¦ inconsciente et f¨¦roce. Le tremblement de terre ¨¦crasant sous des maisons croulantes un peuple entier; le fleuve d¨¦bord¨¦ qui roule les paysans noy¨¦s avec les cadavres des boeufs et les poutres arrach¨¦es aux toits, ou l'arm¨¦e glorieuse massacrant ceux qui se d¨¦fendent, emmenait les autres prisonniers, pillant au nom du Sabre et remerciant un Dieu au son du canon, sont autant de fl¨¦aux effrayants qui d¨¦concertent toute croyance ¨¤ la justice ¨¦ternelle, toute la confiance qu'on nous enseigne en la protection du ciel et en la raison de l'homme

»á¼Æ¿¼ÓÑ ·¢±íÓÚ 2012-8-16 14:33:44

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</p> Mais ¨¤ chaque porte des petits d¨¦tachements frappaient, puis disparaissaient dans les maisons. C'¨¦tait l'occupation apr¨¨s l'invasion. Le devoir commen?ait pour les vaincus de se montrer gracieux envers les vainqueurs.
Au bout de quelque temps, une fois la premi¨¨re terreur disparue, un calme nouveau s'¨¦tablit. Dans beaucoup de familles, l'officier prussien mangeait ¨¤ table. Il ¨¦tait parfois bien ¨¦lev¨¦, et, par politesse, plaignait la France, disait sa r¨¦pugnance en prenant part ¨¤ cette guerre. On lui ¨¦tait reconnaissant de ce sentiment; puis on pouvait, un jour ou l'autre, avoir besoin de sa protection. En le m¨¦nageant on obtiendrait peut-¨ºtre quelques hommes de moins ¨¤ nourrir. Et pourquoi blesser quelqu'un dont on d¨¦pendait tout ¨¤ fait? Agir ainsi serait moins de la bravoure que de la t¨¦m¨¦rit¨¦. - Et la t¨¦m¨¦rit¨¦ n'est plus un d¨¦faut des bourgeois de Rouen, comme au temps des d¨¦fenses h¨¦ro?ques o¨´ s'illustra leur cit¨¦. - On se disait enfin, raison supr¨ºme tir¨¦e de l'urbanit¨¦ fran?aise, qu'il demeurait bien permis d'¨ºtre poli dans son int¨¦rieur pourvu qu'on ne se montrat pas familier, en public, avec le soldat ¨¦tranger. Au dehors on ne se connaissait plus, mais dans la maison on causait volontiers, et l'Allemand demeurait plus longtemps, chaque soir, ¨¤ se chauffer au foyer comm
La ville m¨ºme reprenait peu ¨¤ peu de son aspect ordinaire. Les Fran?ais ne sortaient gu¨¨re encore, mais les soldats prussiens grouillaient dans les rues. Du reste, les officiers de hussards bleus, qui tra?naient avec arrogance leurs grands outils de mort sur le pav¨¦, ne semblaient pas avoir pour les simples citoyens ¨¦norm¨¦ment plus de m¨¦pris que les officiers de chasseurs, qui, l'ann¨¦e d'avant, buvaient aux m¨ºmes caf¨¦s.
Il y avait cependant quelque chose dans l'air, quelque chose de subtil et d'inconnu, une atmosph¨¨re ¨¦trang¨¨re intol¨¦rable, comme une odeur r¨¦pandue, l'odeur de l'invasion. Elle emplissait les demeures et les places publiques, changeait le go?t des aliments, donnait l'impression d'¨ºtre en voyage, tr¨¨s loin, chez des tribus barbares et dangereuses.
Les vainqueurs exigeaient de l'argent, beaucoup d'argent. Les habitants payaient toujours; ils ¨¦taient riches d'ailleurs. Mais plus un n¨¦gociant normand devient opulent et plus il souffre de tout sacrifice, de toute parcelle de sa fortune qu'il voit passer aux mains d'un autre.
Cependant, ¨¤ deux ou trois lieues sous la ville, en suivant le cours de la rivi¨¨re, vers Croisset, Dieppedalle ou Biessart, les mariniers et les p¨ºcheurs ramenaient souvent du fond de l'eau quelque cadavre d'Allemand gonfl¨¦ dans son uniforme, tu¨¦ d'un coup de couteau ou de savate, la t¨ºte ¨¦cras¨¦e par une pierre, ou jet¨¦ ¨¤ l'eau d'une pouss¨¦e du haut d'un pont. Les vases du fleuve ensevelissaient ces vengeances obscures, sauvages et l¨¦gitimes, h¨¦ro?smes inconnus, attaques muettes, plus p¨¦rilleuses que les batailles au grand jour et sans le retentissement de la gloire.
Car la haine de l'¨¦tranger arme toujours quelques intr¨¦pides pr¨ºts ¨¤ mourir pour une Id¨¦e.
Enfin, comme les envahisseurs, bien qu'assujettissant la ville ¨¤ leur inflexible discipline, n'avaient accompli aucune des horreurs que la renomm¨¦e leur faisait commettre tout le long de leur marche triomphale, on s'enhardit, et le besoin du n¨¦goce travailla de nouveau le coeur des commer?ants du pays. Quelques-uns avaient de gros int¨¦r¨ºts engag¨¦s au Havre que l'arm¨¦e fran?aise occupait, et ils voulurent tenter de gagner ce port en allant par terre ¨¤ Dieppe o¨´ ils s'embarqueraient.
Onemploya l'influence des officiers allemands dont on avait fait la connaissance, et une autorisation de d¨¦part fut obtenue du g¨¦n¨¦ral en chef.

Donc, une grande diligence ¨¤ quatre chevaux ayant ¨¦t¨¦ retenue pour ce voyage, et dix personnes s'¨¦tant fait inscrire chez le voiturier, on r¨¦solut de partir un mardi matin, avant le jour, pour ¨¦viter tout rassemblement.
Depuis quelque temps d¨¦j¨¤ la gel¨¦e avait durci la terre, et le lundi, vers trois heures, de gros nuages noirs venant du nord apport¨¨rent la neige qui tomba sans interruption pendant toute la soir¨¦e et toute la nuit.
A quatre heures et demie du matin, les voyageurs se r¨¦unirent dans la cour de l'h&ocirc;tel de Normandie, o¨´ l'on devait monter en voiture.
Ils ¨¦taient encore pleins de sommeil, et grelottaient de froid sous leurs couvertures. On se voyait mal dans l'obscurit¨¦; et l'entassement des lourds v¨ºtements d'hiver faisait ressembler tous ces corps ¨¤ des cur¨¦s ob¨¨ses avec leurs longues soutanes. Mais deux hommes se reconnurent, un troisi¨¨me les aborda, ils caus¨¨rent : "J'emm¨¨ne ma femme, dit l'un. -- J'en fais autant. -- Et moi aussi." Le premier ajouta : "Nous ne reviendrons pas ¨¤ Rouen, et si les Prussiens approchent du Havre nous gagnerons l'Angleterre." Tous avaient les m¨ºmes projets, ¨¦tant de complexion semblable.
Ò³: [1]
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