La croissance du commerce international, l'intensification des flux de capitaux, les progrès des réseaux de communication et l'émergence d'entreprises globales nous ont amenés dans l'ère de la mondialisation. L'idée du village planétaire semble devenir de plus en plus une réalité. Avec l'entrée de la Chine dans l'OMC, le terme mondialisation est devenu à la mode en Chine, fait fureur dans les média, domine dans les thématiques des colloques et figure sur les titres des ouvrages. On parle de "la jointure au rail international" (l'adoption des normes internationales), de la concurrence économique, du marché mondial, de l'ISO 9000, etc.. Enthousiasmés par la mondialisation, on n'a pas encore le temps de se soucier de ce que signifie exactement le terme et ses implications. On y voit vaguement la modernisation du pays accélérée par la convergence vers l'international en oubliant que cet international est en fait marqué du sceau de la culture occidentale et notamment de la culture américaine, que l'OMC est d'inspiration américaine et que beaucoup de normes dites internationales sont en réalité des produits des pays industrialisés, imprégnés d'esprit occidental. La Chine, en allant vers la mondialisation, s'expose à un paradoxe incontournable: elle se voit obligée de s'assimiler à des critères basés sur une culture très différente de la sienne. P- ]" Q6 K/ }) L' \. Y, h
Si beaucoup de Chinois ne prennent pas clairement conscience de l'implication culturelle de la mondialisation, celle-ci est, pour nombre de chercheurs occidentaux, notamment ceux en sociologie et en management comparé, sans frontières par définition, car l'internationalisation est censée avoir pour vocation d'abolir les différences entre pays, voire entre continents, d'unifier les institutions et les m?urs, de faire abandonner des habitudes locales au profit du One best way, modèle unique, à l'origine duquel se trouve l'ingénieur Frederick Taylor (1856-1915), promoteur de l'organisation dite scientifique du travail ou taylorisme. Il conviendrait, en vertu du taylorisme, de diriger de la même manière toute entreprise, qu'elle soit fran?aise, allemande, chinoise, indienne ou nigériane, sans tenir compte de la civilisation de son personnel. Seulement, on ne prend pas la peine de préciser que ce modèle, considéré comme le seul à être rationnel, donc universel, est made in America. En fait, ce concept de "rationalité", qui pourrait nous faire croire à une transparence objective et neutre de la modernité, est lui-même une expression culturelle. "En cela il n'y a pas d'objectivité, de 'neutralité culturelle', mais au contraire l'expression presque pure d'un certain modèle, le modèle des sociétés 'post-industrielles'. Ce dernier a tendance, comme l'indique à plusieurs reprises M. Sahlins, à occulter sa propre 'culturalité' sous le voile d'une apparente rationalité, dénégation de ses mécanismes de reproduction et d'évolution" (Bosche, 1993: 64). Sous l'enseigne de la mondialisation, l'Occident est en train de vendre ses valeurs culturelles.; [& Y$ s. o9 V: z, n( `
Cet ethnocentrisme occidental est encore plus flagrant dans la définition donnée par l'Américain S.N. Eisenstadt: "Historiquement, la modernisation est le processus de changement vers ces types de systèmes sociaux, économiques et politiques qui se sont développés en Europe occidentale et en Amérique du Nord depuis le XVIIe siècle jusqu'au XIXe siècle et se sont ensuite répandus dans d'autres pays" (in Laburthe-Tolra et Warnier, 1993: 6). Cette définition suppose non seulement que la modernité touche tous les aspects de l'existence: organisation sociale et politique, famille, parenté, croyances, économie, mais aussi qu'elle possède un modèle original: celui de l'Europe et de l'Amérique du Nord, centre à partir duquel se diffusent des innovations modernes au même titre que le Croissant fertile au Néolithique, et l'Egypte dans l'Antiquité.
6 ?4 } g# `3 H# }7 C Mais cette théorie de la modernité est aujourd'hui mise en cause, car au fil du temps, la perspective d'un monde régi par une culture planétaire se révèle problématique, ainsi que le souligne Ph. D'Iribarne, auteur de La logique de l'honneur: "Il appara?t que l'unification des m?urs n'est souvent que superficielle, que l'adoption des jeans et du Coca-Cola peut aller de pair avec une défense virulente de maints particularismes. […] Plus l'internationalisation devient réalité, plus il est clair que les cultures demeurent" (1998: 5) .
& P2 Q# [. w" ~& v% U; o( ^ Des analyses critiques ont souligné des incohérences de cette théorie de la convergence issue du modèle rationnel de l'Occident industrialisé. Une des erreurs est de confondre le monde de la nature avec celui de l'homme comme l'a mis en évidence F. Trompenaars: "Une hypothèse souvent admise comme évidence consiste à dire que la réalité sociale est'ailleurs', séparée du gestionnaire ou du chercheur, de la même fa?on que la matière d'une expérience de physique est'ailleurs'" (1994: 47). Or, les objets inanimés des physiciens ne parlent pas et ne se définissent pas eux-mêmes. Dans l'univers de l'homme cependant, il en va tout à fait différemment. Quand nous nous retrouvons face à des gens appartenant à d'autres systèmes culturels, ils ont tout comme nous un système complet de définitions du monde qui relève pour eux du sens commun.; M! o" o1 B5 |+ g& x& I
2. Les "évidences invisibles" |