- Non, je ne sais rien, dit Dantès, abattu par son ignorance ; une partie des mots que vous prononcez sont pour moi des mots vides de sens ; vous êtes bien heureux d'être si savant, vous ! ?
* t6 B; f- J. G8 O# m; ^+ X* U L'abbé sourit.
) p, P$ F1 U# W' Y. p: P3 n ? Vous pensiez à deux choses, disiez-vous tout à l'heure ?, g$ X8 {. w+ S& J. `
- Oui.
+ q- d/ N _! o, H# R) a( N0 } - Et vous ne m'avez fait conna?tre que la première ; quelle est la seconde ?
1 z$ ~+ B7 z, Y) Y6 C" P - La seconde est que vous m'avez raconté votre vie, et que vous ne connaissez pas la mienne.* r# T$ }; d8 C6 J
- Votre vie, jeune homme, est bien courte pour renfermer des événements de quelque importance.1 p) M% t2 w& c. O' A
- Elle renferme un immense malheur, dit Dantès ; un malheur que je n'ai pas mérité ; et je voudrais, pour ne plus blasphémer Dieu comme je l'ai fait quelquefois, pouvoir m'en prendre aux hommes de mon malheur.
6 Z% a% W7 k0 \4 G9 Z) q - Alors, vous vous prétendez innocent du fait qu'on vous impute ?/ h- i% }; ?+ Q, P
- Complètement innocent, sur la tête des deux seules personnes qui me sont chères, sur la tête de mon père et de Mercédès.# j) x9 A6 Q* U+ ]
- Voyons, dit l'abbé en refermant sa cachette et en repoussant son lit à sa place, racontez-moi donc votre histoire. ?9 ^5 G F. H" T4 ]' {1 G8 d0 R; L
Dantès alors raconta ce qu'il appelait son histoire, et qui se bornait à un voyage dans l'Inde et à deux ou trois voyages dans le Levant ; enfin, il en arriva à sa dernière traversée, à la mort du capitaine Leclère, au paquet remis par lui pour le grand maréchal, à l'entretien du grand maréchal, à la lettre remise par lui et adressée à un M. Noirtier ; enfin à son arrivée à Marseille, à son entrevue avec son père, à ses amours avec Mercédès, au repas de ses fian?ailles, à son arrestation, à son interrogatoire, à sa prison provisoire au palais de justice, enfin à sa prison définitive au chateau d'If. Arrivé là, Dantès ne savait plus rien, pas même le temps qu'il y était resté prisonnier.& e- Z% a" j) s e6 Q
Le récit achevé, l'abbé réfléchit profondément.
6 y; S" K3 ^' }/ E; K% H ? Il y a, dit-il au bout d'un instant, un axiome de droit d'une grande profondeur, et qui en revient à ce que je vous disais tout à l'heure, c'est qu'à moins que la pensée mauvaise ne naisse avec une organisation faussée, la nature humaine répugne au crime. Cependant, la civilisation nous a donné des besoins, des vices, des appétits factices qui ont parfois l'influence de nous faire étouffer nos bons instincts et qui nous conduisent au mal. De là cette maxime : Si vous voulez découvrir le coupable, cherchez d'abord celui à qui le crime commis peut être utile ! A qui votre disparition pouvait-elle être utile ?
& q% R1 q7 z) P* ]( ~$ A - A personne, mon Dieu ! j'étais si peu de chose.
) B( Q X7 v) c7 R% b - Ne répondez pas ainsi, car la réponse manque à la fois de logique et de philosophie ; tout est relatif, mon cher ami, depuis le roi qui gêne son futur successeur, jusqu'à l'employé qui gêne le surnuméraire : si le roi meurt, le successeur hérite une couronne ; si l'employé meurt, le surnuméraire hérite de douze cents livres d'appointements. Ces douze cents livres d'appointements, c'est sa liste civile à lui ; ils lui sont aussi nécessaires pour vivre que les douze millions d'un roi. Chaque individu, depuis le plus bas jusqu'au plus haut degré de l'échelle sociale, groupe autour de lui tout un petit monde d'intérêts, ayant ses tourbillons et ses atomes crochus, comme les mondes de Descartes. Seulement, ces mondes vont toujours s'élargissant à mesure qu'ils montent. C'est une spirale renversée et qui se tient sur la pointe par un jeu d'équilibre. Revenons-en donc à votre monde à vous. Vous alliez être nommé capitaine du Pharaon ?$ a( L z- Q, d8 p6 w7 I" e
- Oui.
8 a% D6 R- {' D2 l- H$ Y6 y - Vous alliez épouser une belle jeune fille ?% d- a- ?) i) P2 ~+ f2 F8 d
- Oui.$ T* X* c1 E: p. {
- Quelqu'un avait-il intérêt à ce que vous ne devinssiez pas capitaine du Pharaon ? Quelqu'un avait-il intérêt à ce que vous n'épousassiez pas Mercédès ? Répondez d'abord à la première question, l'ordre est la clef de tous les problèmes. Quelqu'un avait-il intérêt à ce que vous ne devinssiez pas capitaine du Pharaon ?
. N( S9 Y* Z; ? - Non ; j'étais fort aimé à bord. Si les matelots avaient pu élire un chef, je suis s?r qu'ils m'eussent élu. Un seul homme avait quelque motif de m'en vouloir : j'avais eu, quelque temps auparavant, une querelle avec lui, et je lui avais proposé un duel qu'il avait refusé. |