</p>
; U( N0 q! `3 x! Z- p( K, P8 @ 4. Les méthodes de recherche % `4 d; `# c' f; t: R" X& Y
En 1997, il s'est formé à Canton une équipe de chercheurs dans le cadre du Centre de Recherches Sur l'Interculturel (CERSI), unité de recherche au sein de l'Université des Etudes Etrangères du Guangdong. Cette équipe, animée principalement par Zheng Lihua, professeur de sociolinguistique et Dominique Desjeux, professeur d'anthropologie culturelle à la Sorbonne (Paris 5), rassemble des chercheurs chinois et français, de formations différentes (linguistique, sociologie, anthropologie, gestion, psychologie sociale). Elle assume une double mission: réaliser des recherches et former les futurs chercheurs. La diversité des origines universitaires et la composition interdisciplinaire du groupe lui donnent l'avantage de la complémentarité dans ses recherches, d'avoir accès plus facilement aux terrains ainsi que la possibilité de confrontation permanente des points de vue.2 i7 J" E. G* v+ l/ ]3 q
Les textes regroupés dans ce livre sont tous écrits par les membres de notre équipe, y compris les jeunes chercheurs. Ils sont tirés, pour la plupart, des enquêtes que nous avons réalisées à Canton entre 1997 et 2002./ D0 t( s& Y( f, s. U# X$ z3 q: W
L'objectif principal de l'équipe n'est pas de comparer la culture chinoise à la culture française, mais de cerner les espaces dans lesquels peuvent se glisser facilement des malentendus culturels. Et pour nous, ces espaces sont constitués des évidences ou des présupposés que nous portons en nous sans le savoir et qui sont souvent à l'origine d'irritations et de blessures sans que les acteurs en prennent conscience. Afin d'explorer ces éléments implicites, nous avons choisi un terrain d'investigation, qui n'est pas celui de la philosophie, de l'histoire ou de la littérature comme le font souvent les spécialistes en sinologie, mais celui de la vie quotidienne. Notre idée est très simple: c'est dans la vie de tous les jours que les solutions sont les plus spontanées, donc les plus éloignées de notre conscience ; ce sont les événements les plus ordinaires qui sont les plus révélateurs des postulats fondamentaux acquis dans l'enfance et ancrés au plus profond de notre esprit ; et finalement, c'est dans les endroits les plus connus et les plus liés à l'existence de l'homme (repas, sommeil, travail, relations proches, temps, espace, etc.) que les malentendus culturels ont le plus de chance de surgir, car c'est là où nous nous sentons le plus en sécurité et donc le moins sur nos gardes, tant les circonstances nous sont familières et les gestes automatiques.5 K" V; j1 j; e' O6 i3 k* Z
L'élucidation des évidences nous a conduits, en ce qui concerne la méthodologie, à utiliser une approche qualitative qui consiste non pas à décrire les communautés selon une méthode statistique, comme celle utilisée par G. Hofstede, mais à saisir les systèmes de sens dans lesquels s'inscrivent les peuples.) v& j8 R5 k# _( R4 t, l+ i+ D
Un premier angle a été de reconstruire les représentations vécues des acteurs chinois. Nous avons travaillé sur des notions de base telles que famille, amour, amitié, confiance, romantisme, individualisme, argent, entreprise, autorité, décision, client, produit, service, etc., comme analyseurs de la vie quotidienne. On suppose facilement qu'elles ont un sens commun au nom de l'universalité des sentiments humains, surtout lorsqu'on trouve des termes équivalents dans les deux langues. Elles peuvent cependant avoir des significations très différentes d'une culture à l'autre, voire affirmer des vérités contraires. Ainsi, les lecteurs trouveront dans ce recueil des analyses portant sur les dimensions culturelles des concepts de temps et d'espace (cf. chapitres 2-5,) sur les représentations de la méfiance et de la confiance (cf. chapitre 7), sur l'image romantique que les Chinois se font des Français (cf. chapitres 17-20), ainsi que sur les significations sociales de l'écriture (cf. chapitre 11). Ces analyses nous révèlent que de profondes différences culturelles peuvent exister non seulement dans les significations attachées aux mots, mais aussi dans celles associées à des objets et à des comportements quant aux critères de conformité sociale. Les normes du pur et de l'impur, du prescrit et de l'interdit, du légitime et de l'illégitime, du juste et de l'injuste, de ce qui élève et de ce qui abaisse varient en fonction des sociétés.
+ t# ]/ N& T2 X Une autre pratique de l'analyse culturelle consiste à élucider des prémisses culturelles à travers les discours sur l'autre culture, qu'ils soient stéréotypés ou non. Comme nous observons le monde à travers notre filtre culturel, la vision que nous avons de l'Autre nous renvoie notre propre image, dans un jeu de miroir subtil. Un jugement portant sur l'Autre en dit davantage sur nous-mêmes que sur lui, ainsi que le souligne F. Trompenaars: "Toute opinion exprimée par nous, concernant la culture observable, est généralement plus révélatrice sur nous-mêmes et sur nos origines que sur le groupe social jugé par nous" (1994: 54). Ainsi, quand un jeune étudiant chinois dit: "Si je pouvais choisir ma future femme parmi les Européennes, je choisirais une Anglaise car les Anglaises sont gracieuses et douces. Les Françaises sont trop séductrices pour être des épouses. Elles sont faites pour êtres de bonnes amantes. Quant aux Allemandes, elles sont trop grandes, et veulent toujours dépasser les hommes, ce qui constitue une menace morale pour nous en tant qu'hommes", il exprime certes une opinion sur les Européennes, mais cette opinion est basée sur un de ses présupposés culturels qu'il considère comme une vérité: "L'épouse idéale doit être douce et de tempérament raffiné ; les femmes trop séduisantes sont plus destinées à êtres amantes qu'épouses ; les femmes ne doivent pas être trop grandes et ne doivent pas toujours chercher à dépasser les hommes; normalement, l'homme est plus fort que la femme". Les discours que les Chinois portent sur les Européens et les produits européens présentés dans ce recueil (cf. chapitres 17-21) nous renseignent autant sur les images qu'ils s'en font que sur les valeurs culturelles chinoises et sur les conceptions qu'ils se font de la consommation.
8 H% y5 ]& Q( Q% \8 L Une troisième méthode est de centrer le regard sur les pratiques, que ce soit par observation directe ou par description au travers d'interviews. Les pratiques peuvent nous aider à élucider des évidences cachées parce qu' "elles sont la manifestation de manières spécifiques d'articuler le sens et l'action et qu'elles mettent en oeuvre la matière selon un schéma de significations précis, propre à une communauté" (Chevrier: 182). Dans nos enquêtes, nous nous sommes concentrés sur la recherche de la diversité des comportements ou des occurrences. Une occurrence signifie pour nous la mise en évidence de l'existence d'une pratique ou d'un phénomène social. Ce qui nous intéresse dans l'apparition d'une occurrence, c'est sa "significativité sociale", sa capacité à révéler un mécanisme social – des interactions entre acteurs, des pratiques non connues ou une dimension symbolique – invisible avec l'outil statistique (Desjeux et al., 1998: 261). Les enquêtes que les lecteurs trouveront ici (sur les pratiques de l'alimentation au chapitre 6, sur celles du bricolage au chapitre 8, sur celles de la mémoire au chapitre 9, sur celles de l'écriture aux chapitres 10 et 11, sur celles du management aux chapitres 12-15, et sur celles de l'achat des produits européens au chapitre 21) nous montrent que les pratiques, souvent, rapprochent les cultures qu'un discours trop culturaliste a tendance à séparer les unes des autres, établissant ainsi des oppositions qui correspondent moins à la réalité qu'aux stéréotypes des chercheurs ou des observateurs, emprisonnés eux-mêmes dans leur schéma culturel. Elles confirment d'ailleurs les affirmations de F. Kluckhohn et F.L. Strodtbeck selon lesquels il existe un nombre limité de problèmes généraux de la vie auxquels tous les groupes sociaux sont confrontés, que ces derniers élaborent toutes sortes de solutions possibles mais qu'ils ont un ordre de préférence qui diffère (in Trompenaars, 1994: 59-60). Pour nos auteurs, ce sont ces préférences qui font que des solutions pour résoudre les problèmes de base de la vie humaine sont choisies plutôt que d'autres. C'est tout l'intérêt de la recherche anthropologique que de comprendre la nature de ces préférences et leur organisation systématique, et c'est aussi cela la culture (in Bosche, 1993: 61).# g) W5 `+ r% M8 H( L( Z
7 g& j: O5 K0 S9 j% B/ W
5. Les recherches interculturelles à Canton' U& v* q' R- m; I+ k' c# u5 |9 Z
La première mission de notre équipe sino-française consiste donc à faire des enquêtes. La plupart d'entre elles ont été réalisées en réponse à des demandes émanant soit d'entreprises, soit d'institutions administratives ou avec leur appui. Citons par exemple: Comprendre la construction sociale de la méfiance entre les entreprises et les services de la Poste (réalisée pour la Mission de la Recherche, Direction de la Stratégie et de la Planification de la Poste, 1998), Les pratiques et les représentations de la mémoire à Guangzhou (réalisée à la demande de Beaufour Ipsen International, 1998), Les images des Européens chez les Chinois et leurs implications sur la consommation (étude financée par l'Union européenne, 1999), Le management interculturel sino-français (étude financée par le gouvernement de la Province du Guangdong, 2000), L'écriture et la certification ISO 9000 en Chine (étude en cours financée par le gouvernement de la Province du Guangdong, 2001). Ces enquêtes, en même temps qu'elles nous ont éclairé sur des mécanismes sociaux implicites, ont apporté des réponses aux questions des demandeurs et des solutions aux problèmes posés par le monde réel. Cette utilité sociale nous réconforte car pendant longtemps, on n'a pas su à quoi pouvaient servir les sciences sociales. Par ailleurs, c'est de la confrontation entre les faits sociaux et la capacité de la théorie à en rendre compte que provient alors l'intérêt de la théorie (Boutet et Gardin, 2001: 99). Depuis des années, nous essayons de construire un trépied qui rassemble l'entreprise, la recherche et l'université et qui fonctionne de la façon suivante: les entreprises nous apportent des projets de recherche ou nous leur en proposons ; les résultats des enquêtes alimentent les projets de publication ou servent de données aux thèses ou aux mémoires des étudiants ; les connaissances produites par les recherches enrichissent les cours à l'université et préparent mieux les étudiants à la vie de l'entreprise ; en retour l'expérience des enquêtes nous donne plus de légitimité pour accrocher d'autres projets de recherche auprès des entreprises; et ainsi de suite.( ^9 `: v/ K9 P' L3 E
Une deuxième activité principale de l'équipe est d'organiser des colloques. En mai 1998, en collaboration avec le Consulat général de France à Canton, nous avons organisé le premier séminaire interculturel sino-français de Canton. De ce premier séminaire est sorti un recueil des actes Chine-France. Approches interculturelles en économie, littérature, pédagogie, philosophie et sciences humaines publié en France (L'Harmattan, 2000). En juin 2000, un deuxième séminaire interculturel a eu lieu, organisé conjointement par le Consulat général de France à Canton, la Chambre de Commerce et d'Industrie Française en Chine et nous-mêmes. Ce deuxième séminaire a donné lieu à la publication des actes sous le titre Entreprise et communication sortis à Hongkong (Maison d'Editions Quaille, 2001). L'une des originalités de ces séminaires, c'est qu'ils visaient un double objectif, à la fois académique et pratique en orientant les thématiques vers des problèmes interculturels rencontrés au jour le jour dans les activités économiques comme le commerce, le management, le marketing ou encore la négociation, thématiques qui supposent des interactions entre Chinois et Français. Une deuxième originalité, c'est que les séminaires ont réuni différents interlocuteurs: participants chinois et français d'une part et universitaires et entrepreneurs d'autre part, qui appartiennent à des univers entre lesquels le dialogue n'est pas toujours facile, aussi bien en Chine qu'en France. Le troisième séminaire interculturel sino-français de Canton Chine et mondialisation est prévu pour les 31 mai, 1er et 2 juin 2002. J3 r# |6 i% h' H: S& |, U- |) m
Une troisième activité est d'animer des sessions de stage de formation interculturelle destinées à l'encadrement des entreprises. Ainsi, les cadres d'EDF travaillant à la Centrale nucléaire de Shenzhen sont-ils venus à l'Université où ils ont suivi, pendant deux semaines, des conférences sur la culture chinoise au quotidien; ils ont discuté avec les professeurs et les étudiants chinois ; ils ont fait du sport avec les étudiants, visité le dortoir de ces derniers, pris des repas dans le restaurant universitaire ; ils sont allés chez les étudiants habitant en ville et dîné avec leurs familles, etc., toutes sortes d'activités visant à les immerger dans un environnement entièrement chinois. Cette formation s'est étendue par la suite aux épouses des cadres français. Elle a été bien appréciée par les participants qui y ont vu non seulement un enrichissement intellectuel mais aussi et surtout une sensibilisation aux différences culturelles, une mise en appétit pour la culture chinoise et l'établissement d'une disposition psychologique favorable à la coopération avec les Chinois. Ainsi que l'a écrit D. Avenal, représentant général d'EDF à la Centrale: "Chacun a pu partager avec tous les professeurs et étudiants, une réelle expérience humaine, faite de simplicité, de gentillesse, de curiosité réciproque, de disponibilité. Le secret de toute réussite réside bel et bien dans la convivialité et le respect de l'autre permettant à chacun de 'gagner de la face' comme disent les Chinois" (Zheng et Desjeux, 2000: 284).0 x, D5 n- W4 A9 A8 ?) a
Enfin, la dernière activité, à titre plutôt personnel, est de donner des cours ou de faire des conférences à l'université ou pour le milieu de l'entreprise. Ainsi, Zheng Lihua, hormis les deux cours permanents, Communication interculturelle et Management interculturel, qu'il assure auprès de ses étudiants, a donné des cours pendant un mois aux étudiants du DESS Affaires Chine de l'Université Lyon 2. De plus, il est intervenu en tant que conférencier à la Chambre de Commerce et d'Industrie française de Shanghaï et de Canton, au Village des experts de Shenzhen, ainsi que dans plusieurs universités françaises (Paris 5, Grenoble 3, Marseille 1). Dominique Desjeux, quant à lui, vient tous les ans passer un mois à Canton pour faire un séminaire à l'intention des étudiants de maîtrise du Département de Français et les former à la méthodologie de la recherche interculturelle. |